Larbi Benchiha

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Filmographie > Vent de sable


Compte-rendu de tournage 


Bruno Barillot et Hervé Portanguen Compte-rendu du voyage au Sahara de novembre 2007, rédigé par Bruno Barrillot pour la revue Damoclès (à lire impérativement)

« Du 13 au 19 novembre 2007,

Bruno Barrillot a eu l’occasion d’accompagner une équipe de télévision française à Reggane1, au coeur du Sahara algérien où, entre 1960 et 1961 eurent lieu les premiers essais nucléaires atmosphériques français. Inutile de dire que leur présence à Reggane n’est guère passée inaperçue ! ... »



Compte-rendu du voyage au Sahara de février 2008

Dimanche dix février, il était quatorze heures quand le taxi-brousse au départ d’Adrar nous a déposés sur la place centrale de Reggane. Nous avons réalisé que, désormais, nous n'étions plus des inconnus dans cette bourgade. A peine les pieds posés sur le sable de Reggane, nous étions déjà repérés. Les gens se rappelaient de nous, ils venaient nous saluer, nous souhaiter la bienvenue et s’enquérir de nos nouvelles depuis notre dernière visite.

RegganeEn nous rendant à notre hébergement pour prendre possession de nos chambres et déposer notre barda, voilà que par le plus pur des hasards, nous sommes tombés nez à nez avec un officier de police; lui aussi nous a salué chaleureusement . Après nous avoir souhaité la bienvenue à Reggane, il nous a posé quelques questions sur notre présence dans la ville. Finalement, il nous a demandé à jeter un coup d'oeil sur nos passeports, puis il a griffonné sur un papier, nos numéros de passeports, les dates d’entrée au pays et le numéro de visa d’Hervé. Nous étions partis d’Alger la veille, pour arriver très tard à Adrar, par un vol de nuit. J’avais dormi durant tout le vol, jusqu’à ce que l’impact du train d’atterrissage sur le tarmac ne me tire de ma torpeur. Il faisait un froid de canard. Nous avions ensuite attendu plus d’une heure à l’aéroport qu’un taxi daigne montrer le bout de son nez pour que l’on puisse se rendre à l'hôtel. La faim, le froid et la fatigue avaient fini par avoir raison de la patience d’Hervé. Normal il n’était qu’à son deuxième voyage en Algérie, et l’Algérie et plus particulièrement le Sahara ça se mérite. Pour les apprécier, il faut savoir être zen, et surtout faire la rupture avec le stress des mégalopoles françaises. Nous sommes à deux heures seulement de Paris, et c’est déjà une autre planète. Le Sahara est l’une des plus belles régions que je connaisse !
tournage de "vent de sable" à Reggane - Hervé PortanguenOubliés la faim, le froid et la fatigue, Hervé s’est réveillé tôt et de bonne humeur. Il m’a précédé pour prendre le petit déjeuner, je l’ai rejoint dans un café situé dans une palmeraie, juste en face de l’hôtel. Avant même que je lui dise bonjour, il m’a lancé, sur un ton quasi théâtral : « ce lieu est magnifique, c’est un vrai bonheur, tu ne trouves pas? ». Moi j’avais surtout hâte de m’envoyer un grand thé à la menthe derrière la cravate. Ensuite nous avons fait un tour dans le centre ville où j’ai acheté quelques paires de chaussettes pour la durée du séjour. Notre destination finale c’était Reggane, deux heures de route depuis Adrar et il fallait nous dépêcher, car si nous tardions trop, nous risquions de faire le trajet dans la canicule. Après des négociations rondement menées avec le « taxieur » comme on dit ici, nous avons pris place à coté du chauffeur, car Hervé ne voulais absolument pas monter derrière. Son argument est imparable, derrière, en cas d’accident, m’expliquait-il, la désincarcération est très difficile.
A Reggane, nous avons d’abord pris possession de nos chambres, et pendant que Hervé « checkait » la caméra, j’ai jeté un oeil sur le planning de la semaine, et j'ai commencé par donner quelques coups de téléphone pour « bétonner » la suite… La dernière fois que nous avions tourné à Hamoudia, nous avions été constamment escortés par les gendarmes et par l’armée, Cette fois, à part le policier rencontré à notre arrivée, notre présence ne semblait émouvoir personne, et tant mieux, c’est ainsi qu’on est à l’aise pour bosser.
Nous avons attaqué notre tournage dès le lundi matin, par les prises de vue aériennes. C'était la première fois de ma vie que je survolais le Sahara à bord d’un hélicoptère. Nous avons survolé, à basse altitude, la base vie d’Hamoudia, puis le champ de tir avec ses quatre points zéro. Ensuite, nous avons réalisé plusieurs survols de Reggane ville et des palmeraies environnantes. J’ai découvert une autre ville, je ne soupçonnais pas Reggane aussi vert !
Enfants dans une palmeraie à RegganeQuand je pense au discours de Jules Moch du 5 novembre 1959 devant l’assemblée générale des nations unies, présentant Reggane comme futur Centre d’Expérimentations Atomiques, parce que, disait-il alors, c’est un lieu où il n’y a aucune vie animale et végétale… Ce monsieur a perdu une belle occasion de se taire, parce que dans cette vallée du Touat, l’eau coule à flot et les palmeraies et les jardins sont d’un beau vert très vif. On y cultive les palmiers, mais aussi des tomates, des poivrons, des céréales, des patates et toutes sortes de choses, et cela, grâce au système ancestral et ingénieux des fougarates, qui permet une vie végétale riche et abondante. Je connaissais déjà Hamoudia et son champ de tir, on s’y était rendu par route, avec Hervé Portanguen et Bruno Barrillot lors de notre premier voyage, en novembre 2007. Mais l’observation depuis le ciel change tout, elle donne l’impression de découvrir un autre endroit. La vision verticale tranche avec la vue à l’horizontale, elle induit une perception inédite de l’espace. Jamais l’expression « prendre de la hauteur » ne m’a semblé aussi juste. Je me suis rendu compte combien cette parcelle de désert était immense, et combien le désastre était grand ! Partout des taches noires souillent le sable ocre et pur. D’ici j’avais une vision universelle du drame. Le fait d’avoir bénéficié d’un double point de vue, terrestre et céleste, renforce la lecture du désastre et donne de l’éloquence au regard. Pendant ce survol, j’ai pensé à l’expression du copilote du B52 américain qui a largué la bombe sur Hiroshima. De son cockpit, en regardant l’apocalypse provoquée par la première bombe atomique de l’histoire, il s’est écrié : « mon dieu qu’avons-nous fait? ». Aujourd’hui aussi, on peut s’interroger  : mais qu’a-t-elle donc fait aux hommes cette parcelle de Sahara, ce bout de terre nu, pour qu’on lui inocule ce poison, la rendant ainsi malade pour l’éternité, la transformant en lieu malsain ? Lors de notre première visite, nous étions accompagnés par l’expert Bruno Barrillot, il avait avec lui un petit compteur Geiger de la CRIIRAD. A peine posé sur le sable vitrifié, l’appareil s'était mis à cracher au maximum, « il est complètement saturé, l’endroit est contaminé pour plusieurs milliers d’années » m'avait alors dit l’expert !
Le reste de la semaine, nous l'avons consacré à la collecte de témoignages de la population de Reggane et des environs et au filmage de séquences pour enrichir le récit.
Larbi Benchiha avec l'un des témoins des essais nucléairesEntre la fin des années cinquante et jusqu'en 1966, beaucoup de gens venus de l'ensemble du Touat et du Tassili ont travaillé comme manoeuvres sur les deux sites des essais. Aujourd'hui, ils sont rares, beaucoup d'entre eux sont décédés, seulement une poignée vit encore. Je suis allé à leur recherche, j'en ai rencontré quelques uns, les témoignages sont poignants. Selon eux, les vestiges encore visibles des essais atomiques ne sont que la partie visible de l'iceberg atomique saharien. En effet, après les essais, avant de quitter le Sahara pour le Pacifique, l'armée française aurait enfoui sur place tout le matériel contaminé et inutilisable. Certains d'entre eux ont été employés par ladite armée française pour ramasser le matériel résultant des essais (ferraille, restes d'engins, câbles électriques et objets divers…). Ils les ont ramassés à mains nues et sans protection particulière, m'ont-ils affirmé. Ces déchets étaient-ils radioactifs ? La question demeure posée ! Tout ce qu'ils ramassaient était enfoui dans le sable par les engins du génie militaire. En ce qui concerne cette question de l'enfouissement de déchets technologiques, les témoignages collectés aussi bien en France qu'en Algérie concordent. Certains vétérans exhibent des preuves photographiques, montrant des avions disloqués prêt à être balancés dans des cavités creusées dans le sable. Ainsi donc, on n'a pas seulement pollué la surface de la terre, ses entrailles aussi ont été contaminées. L'état dans lequel se trouve ce bout de Sahara constitue une terrible métaphore de l'état de santé des vétérans, atteints eux aussi par les mêmes éléments radioactifs qui les rongent de l'intérieur ! En quittant le Sahara pour le Pacifique, l'armée française n'a pas pris le soin de sécuriser le site, ni de le débarrasser des produits dangereux et récupérables. Alors ce qui devait arriver arriva. Des trafiquants de métaux ont flairé les bénéfices qu'ils pouvaient tirer d'une telle situation. Ils sont alors arrivés de Béchar, m'a-t-on dit, ils ont recruté des gens d'ici et des environs pour déterrer et récupérer de la ferraille et des câbles électriques qu'on brûlait sur place pour les dégainer. Le tout était alors chargé sur des camions, pour une destination que seuls les trafiquants connaissaient. Le trafic aurait duré plusieurs années. Selon ces témoins, le cuivre probablement radioactif aurait été revendu à des artisans marocains, qui le transformeraient en bijoux et autres objets pour touristes… D'après un instituteur à la retraite que j'ai rencontré, aujourd'hui encore on trouve chez des gens des objets provenant du centre des essais atomiques d'Hamoudia…
Tournage de "Vent de sable" à Reggane". Hervé Portanguen et un témoin des essais nucléairesQuant aux explosions nucléaires proprement dites, tous les Regganis en âge de se souvenir s'en souviennent. Ils les décrivent dans le menu détail. Ils se souviennent que la veille des explosions, l'armée leur donnait l'ordre de quitter leurs maisons au matin à l'heure de la prière. Ils racontent qu'ils ont d'abord vu un éclair d'une puissance phénoménale. Puis, quelques minutes après, la terre a tremblé, suivit aussitôt d'un grondement de tonnerre qui a fait lever un vent de sable, puis plus rien. Beaucoup d'entre eux disent avoir aperçu des avions traverser le nuage de la bombe. Mohamed Dadda est un ancien P.L.O. (Population Laborieuse des Oasis), il habite à Aoulef, et a longtemps travaillé sur le site d'Hamoudia, il était manoeuvre sur le chantier qui construisait les plate-formes des pylônes qui portaient les bombes. Aujourd'hui, Mohamed Dadda est handicapé, il parle difficilement et a perdu l'usage de ses pieds. Pour lui, il ne fait aucun doute, son infirmité est due à sa présence lors du tir de Gerboise bleue le 13 février 1960. Il m'a affirmé qu'il faisait partie du groupe de P.L.O. qui a été disposé, disait-il, entre la bombe et un groupe de soldats. Comme il a des problèmes d'élocution, pour bien me faire comprendre le sens de ce qu'il me disait, il a esquissé un croquis dans le sable... L'accusation est grave, si elle s'avère vraie, alors c'est un crime. Un autre habitant d'Aoulef affirme que les explosions atomiques ont provoqué l'effondrement de certaines fougarates.
Bruno Barillot sur un site nucléaireAujourd'hui, le problème principal concerne la manière dont la fermeture de ces sites a été gérée et l'absence de suivi sanitaire. En effet, comment se fait-il qu'en partant, l'armée française n'ait rien fait, même pas le minimum, c'est-à-dire, à défaut de décontaminer, au moins sécuriser l'endroit. Pourquoi, quarante-six ans après, n'a-t-on toujours pas réalisé une enquête épidémiologique auprès de la population du Touat et évalué les effets des essais sur l'environnement ?
N'est-il pas urgent de procéder à une inspection et à une évaluation des risques en ce qui concerne les matériaux récupérés par des personnes sur les sites des essais ? Enfin, l'armée française doit fournir le relevé des différents points d'enfouissement afin d'établir un inventaire précis de tous les endroits à risques, pour que ceux-ci soient évacués et leurs déchets stockés dans un seul centre d'enfouissement. Ce sont des précautions élémentaires, mais urgentes.
Zaglou est une petite localité, située sur la route d'Adrar, c'est là que j'ai rencontré deux anciens P.L.O. qui ont travaillé sur les points de tir de Gerboise bleue et blanche, ils ont aussi assisté à leurs explosions. Ma demande les laisse perplexe, parce que c'est la première fois que quelqu'un sollicite leurs témoignages. Ils racontent : "Le matin de bonne heure, les militaires nous ont transportés en camion dans un endroit dans le Tanezrouft, ils nous ont disposés par petits groupes de trois personnes chacun, nous étions derrière une dune, ensuite ils nous ont distribué des gris gris (dosimètres) que nous avons mis autour du cou. Puis ils nous ont dit de nous coucher sur le sable et de nous couvrir les yeux avec les mains. On a été secoué par la lumière et le bruit de l'explosion, le sol a tremblé et un nuage de sable s'est élevé. J'avais l'impression que la fin du monde était arrivée. Certains parmi nous ont eu si peur, qu'ils ont fui à travers le Tanezrouft, ils ne sont plus revenus pour travailler sur les chantiers. Puis, le nuage de la bombe s'est élevé dans le ciel, il était beau avec des couleurs changeantes, nous avons vu des avions le traverser de part en part pour le pousser à aller vers le Soudan ».
Parmi les personnes que j'ai rencontrées, rares sont celles qui sont déjà retournées à Hamoudia, et quand je leur ai demandé les raisons de cette abstinence, tous ont invoqué la peur de la bombe, qu'ils appellent « El Ghoula » (l'ogresse). Ici, la bombe a non seulement fait des dégâts physiques, véritables et vérifiables, mais elle a aussi imprégné l'imaginaire collectif. Dans l'esprit de tous les Regganis, la bombe est l'origine de tous les maux. C'est elle qui a engendré la maladie du palmier, c'est aussi elle qui apporté les maladies comme les cancers, le trachome, l'hypertension et les malformations, ou encore la baisse du rendement agricole et la rareté de l'eau… Un travail de réhabilitation c'est aussi retrouver un imaginaire collectif sain, débarrassé des fantasmes engendrés par le manque d'information. Dès le début de cette aventure, les promoteurs de la bombe ne se sont intéressés qu'à l'espace, pas à la population qui le peuple. Personne n'est venu expliquer à la population que la région avait été choisie comme site pour opérer des expérimentations atomiques, en lui exposant clairement les risques et en lui donnant des consignes de sécurité, en construisant des abris anti-atomiques comme on l'a fait, plus tard, pour les populations du Pacifique. Pourquoi ne leur a-t-on pas distribué des dosimètres au même titre que la population française présente à Reggane à cette époque ? Jusqu'à l'heure actuelle, on n’a jamais fait oeuvre de pédagogie par l’organisation de conférences, d'expositions, d'entretiens, d'écrits expliquant les tenants et les aboutissants des essais par rapport à la population et à l'environnement. Les gens n'ont été consultés ni en amont ni en aval, il est donc tout à fait naturel, qu'en l'absence de transparence et d'information, les gens développent ce type de fantasmes.
Récemment, le gouvernement algérien a décidé de sécuriser les environs de Gerboise bleue, l'entourage grillagé est en cours de réalisation. C'est une bonne chose, mais ce n'est pas suffisant, on l'a vu sur le site d'In Eker, la clôture a été défoncée à plusieurs endroits. Si les sites ne sont pas véritablement sécurisés, une simple clôture n'arrête pas les intrusions.
C'est mon troisième séjour sur les sites atomiques sahariens. J'ai également rencontré beaucoup de personnes s'intéressant, à des titres divers, à cette question. Je commence donc à avoir une vision précise et pragmatique de la problématique. J'ai la conviction qu'il est urgent de désigner une commission composée de scientifiques français et algériens pour qu'ils se mettent au travail et réfléchissent ensemble à un véritable programme de suivi sanitaire, à la mise en place d'un processus de sécurisation, de décontamination et de réhabilitation des sites zones touchées par les essais.
L. B.