Larbi Benchiha

cinéaste documentariste

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Filmographie > L'Algérie, De Gaulle et la bombe

Interview pour « Films en Bretagne »

publié le 08/02/2010 sur le site de « Films en Bretagne »

L'Algérie, De Gaulle et la bombe

Larbi Benchiha dans le HoggarLe réalisateur Larbi Benchiha termine la post-production de son nouveau documentaire qui sera prochainement diffusé sur France 3. Il s’agit du second volet d’une trilogie qui s’intéresse aux essais nucléaires français dans le Sahara algérien au début des années 60. Retour sur une filmographie qui enjambe la Méditerranée.

Les six premiers films que vous avez réalisés ont été tournés en France et les quatre derniers en Algérie. En 2006, L’Algérie, son cinéma et moi a inauguré un nouveau cycle et depuis, tous vos films sont en lien avec votre pays natal. Qu’est ce qui vous a donné envie de tourner en Algérie ?

Je n’avais pas remis les pieds en Algérie depuis 1992. J’y étais allé en famille pour des vacances. Le lendemain de notre retour en France, nous avons appris qu’une bombe avait explosé dans le terminal de l’aéroport d’Alger où nous nous trouvions la veille. C’était le début de cette terrible période de terrorisme qui a duré une décennie. J’ai pensé que plus jamais je n’irais en Algérie et ce sont mes enfants qui m’ont poussé à y retourner en 2005 parce qu’ils voulaient revoir ce pays. Je me suis alors rendu compte que l’Algérie était en ruines. J’ai été frappé par toutes ces salles de cinéma fermées. Lorsque j’étais enfant, le cinéma était mon seul loisir. Je voulais montrer à mes deux garçons les grands et beaux cinémas de ma jeunesse. Mais il n’y avait plus rien ! Dans ma ville de 60 000 habitants, il y avait sept salles quand j’étais enfant. Aujourd’hui, pour 600 000 habitants, il n’en reste plus qu’une et elle diffuse des films en vidéo. Je ne pouvais pas faire comme s’il ne s’était rien passé. L’idée d’un film sur le cinéma algérien m’est venue pendant ce séjour. Pour moi, le cinéma est une métaphore. Il est à l’image de ce pays cassé. Sans le cinéma qui donne le pays à voir, l’Algérie est en quarantaine.

Vous avez quitté l’Algérie à 23 ans. Vous étiez déjà adulte. Au début de L’Algérie, son cinéma et moi, vous dites que le cinéma a joué un rôle dans votre désir de partir.

Les enfants de ma génération étaient fans de cinéma. Le premier film que j’ai vu était un Chaplin. Nous étions de grands amateurs de burlesque mais aussi de westerns et de films de guerre. Je me souviens que « La Piscine » de Jacques Deray m’avait beaucoup marqué, peut-être à cause de la plastique de Romy Schneider ! Comme nous n’avions pas beaucoup d’argent, nous nous cotisions et chacun allait à tour de rôle voir un film et le racontait aux copains de A à Z. Le cinéma nous donnait accès à un monde inconnu. On prenait conscience d’un ailleurs. Cela faisait travailler notre imaginaire. Du coup, quand je suis arrivé en France, je ne me suis pas senti dépaysé. Je connaissais ce nouveau monde, je l’avais vu au cinéma, j’avais déjà voyagé dans ma tête. Je peux dire que le cinéma m’a ouvert l’esprit, a aiguisé ma curiosité et qu’il a été un facteur d’intégration. Je n’en avais pas conscience sur le moment, je n’avais rien théorisé. C’est avec le recul que je m’en suis rendu compte.

Le vent des AurèsÀ quel moment avez-vous vu des films algériens ?

Le cinéma algérien est né avec la guerre. En même temps que les armes, les Algériens ont pris des caméras. Des cinéastes ont filmé dans les maquis parce qu’ils avaient compris qu’une guerre se gagne aussi avec des images. Trente-quatre pays ont reconnu l’Algérie pendant la guerre. À New-York, il y avait des manifestations pour l’indépendance. Ce sont aussi les images qui ont fait connaître la situation algérienne. Après 1962, on a commencé à voir des films algériens qui racontaient notre histoire, parlaient notre langue, les acteurs nous ressemblaient. Il y a eu une sorte d’âge d’or du début des années 60 jusqu’aux années 80. Pendant cette période, le régime a encouragé la production cinématographique. Le cinéma a permis de déconstruire les effets du colonialisme, de forger l’identité nationale et d’inventer un nouvel imaginaire collectif. Et quand ça n’a plus été utile politiquement, le robinet a été fermé. Pour moi, le plus grand film algérien c’est « Le Vent des Aurès » de Mohammed Lakhdar-Hamina. J’aime aussi beaucoup « La Bataille d’Alger » de Gillo Pontecorvo. D’ailleurs, j’ai inséré des extraits de ce film dans « L’Algérie, De Gaulle et la bombe ».

Larbi Benchiha et un témoin des essais nucléaires dans le HoggarAvant ce film qui constitue le deuxième volet d’une trilogie, il y a eu, en 2008, Vent de sable, le Sahara des essais nucléaires. Comment vous est venue l’idée de vous attaquer à ce sujet politique ?

Je réalise toujours des films sur des sujets qui me posent question, qui mettent en lumière des dysfonctionnements sociétaux, humains. Pendant mes études en Algérie, jamais je n’avais entendu parler des essais nucléaires français au Sahara. J’ai pris connaissance de cette histoire à la fin des années 90. J’ai commencé à rencontrer des gens sur place et je me suis aperçu que la France n’avait pas fait d’études d’impact, qu’elle avait agi dans la précipitation, que ni les appelés français ni les populations locales n’avaient été mis au courant de la dangerosité de ces essais atmosphériques, que tout le monde avait été traité avec un égal mépris. Quand les bases nucléaires ont été fermées, les militaires sont partis sans dépolluer et sans réellement démanteler les installations. Le matériel hautement radioactif a tout simplement était enfoui dans le sable. J’avais besoin de comprendre et de faire comprendre, alors j’ai pris ma caméra. C’est de ce questionnement que le film est né.

Et Vent de sable a soulevé d’autres questions qui ont donné lieu à L’Algérie, De Gaulle et la bombe

Oui. « L’Algérie, De Gaulle et la bombe » ausculte la stratégie politique du général de Gaulle. J’ai rencontré les négociateurs des accords d’Evian et ce sont leurs témoignages qui structurent le film, l’autre strate étant constituée par les histoires des personnes qui ont vécu les essais à différents titres, qu’ils soient militaires français ou habitants du Sahara. Ce que je voulais notamment comprendre, c’est pourquoi De Gaulle, qui est pragmatique et un grand stratège politique, avait choisi de faire des essais nucléaires dans un pays en guerre - la première explosion a eu lieu en février 1960 - et pourquoi ces essais s’étaient poursuivis pendant cinq ans après l’indépendance. Dans ce film, j’essaie de décortiquer des mécanismes politiques d’autant plus complexes que cette histoire a été cachée. Aujourd’hui encore, le silence dû au «secret défense» des documents relevant de cette période empêche les historiens, les cinéastes, les journalistes de travailler efficacement et sereinement sur cette question. Au départ, je souhaitais placer les essais dans une perspective historique. J’ai été surpris que les quelques historiens qui travaillent sur la question algérienne n’aient pas été disponibles pour me rencontrer…

Que va raconter le troisième volet ?

Je suis un peu partagé. Je pensais que le troisième volet porterait sur les effets environnementaux. Mais je crois que je vais plutôt l’axer sur la naissance d’une nation du côté algérien et sur la perte d’un pays du côté français. Lorsque l’Algérie est devenue indépendante, en quelques mois près d’un million de pieds noirs ont quitté le pays, les larmes aux yeux.

J’ai le sentiment que vos films de la période algérienne sont souvent des traits d’union entre la France et l’Algérie.

J’estime que mes films sont des passerelles. Les gens de ma génération n’ont pas la rancœur de nos aînés qui ont fait la guerre et ont souffert du colonialisme. Moi, je suis Algérien et Français et donc sans doute plus apte à aborder ces questions sans complexe, sans retenue, et surtout de manière dépassionnée. Je considère que la France est mon pays au même titre que l’Algérie. J’appartiens aux deux peuples. D’ailleurs, pour moi, c’est un seul et même pays, avec la Méditerranée au milieu. Cette position me permet de soulever la chape de l’histoire sans réveiller les passions et de rompre le silence. Pour écrire l’histoire, il faut commencer par nommer les choses.

          Propos recueillis par Nathalie Marcault

           

(*) Coproduit par Aligal Production et par France Télévisions, L’Algérie, De Gaulle et la bombe sera prochainement diffusé sur les antennes de France 3 Ouest et de France 3 national (La Case de l’oncle Doc).