Larbi Benchiha cinéaste documentariste |
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Interview pour « Horizon.dz »
Comment la France a-t-elle pu implanter ses bases atomiques en Algérie, des installations secrètes et sensibles, dans un pays en guerre ? Pourquoi avoir réalisé de tels investissements et pris le risque d’amener la bombe nucléaire dans cette région, alors que l’insurrection s’organisait et s’amplifiait ? Pourquoi le silence a-t'il persisté pendant presque un demi siècle ? Le projet de doter la France de l’arme de dissuasion datait de la seconde guerre mondiale. Le général De Gaulle n’a jamais accepté le fait que la France soit écartée de la conférence de Yalta. C’est pour cela que, en octobre 1945, De Gaulle a créé le CEA (Commissariat à l’Energie Atomique) par ordonnance. Le choix du Sahara a tenu au fait que, pour De Gaulle, le Sahara ne faisait pas partie de l’Algérie. C’était le lieu idéal pour ce genre d’expérimentation, le Sahara étant à la fois proche de la France, pour l’acheminement du matériel nécessaire, et relativement loin des curieux… Quant au silence qui a persisté pendant un demi-siècle dans cette histoire, il est du, d’une part, au fait que la France ne souhaitait pas évoquer ce passé peu glorieux, d’autre part, au fait que les algériens étaient trop englués dans des luttes intestines pour le pouvoir, le conflit naissant avec le Maroc qui revendiquait Tindouf, puis le coup d’état par lequel Ben Bella fut destitué par le colonel Boumediene le 19 juin 1965… Pour réaliser « Vent de sable », j’ai effectué beaucoup de recherches, j’ai rencontré des gens, réalisé des interviews, j’ai beaucoup lu et interrogé les documents d’archives. Alors, après avoir terminé ce film qui porte sur l’histoire, et sur les effets sanitaires et environnementaux des essais nucléaires dans le Sahara algérien, je me suis aperçu que beaucoup de questions fondamentales restaient en suspens, sans réponses. Les français ont commencé à faire exploser leurs bombes en février 1960. La première explosion, Gerboise bleue, a eu lieu le 13 février 1960. A cette époque, l’Algérie était encore territoire français. Les expérimentations ont continué jusqu’en décembre 1966. L’Algérie étant devenue indépendante en 1962, les essais ont donc continué pendant presque cinq ans après l’indépendance. Mon film analyse donc cette problématique. Cette longue enquête m’a amené à revisiter les sites en compagnie de scientifiques et de militaires ayant travaillé sur les bases. J’ai également rencontré les négociateurs encore vivants des accords d’Evian. Ces accords sont la base et le fondement du récit. Les négociateurs des deux bords (algériens et français) m’ont appris que le général De Gaulle avait une stratégie bien définie pour l’Algérie. Pour lui, le Sahara ne faisait pas partie de l’Algérie, c’était une création exclusivement française. Les stratèges politiques français considéraient le Sahara comme une mer de sable qui appartenait à celui qui l’avait mise en valeur, en l’occurrence la France, puisqu’elle avait réalisé des forages pétroliers et investi des sommes colossales pour édifier les bases atomiques. La question du Sahara a beaucoup pesé sur les négociations. On dit que s’il n’y avait pas eu la question du Sahara, la guerre n’aurait pas duré sept ans et demi… Le film revient donc sur l’histoire du nucléaire au regard des accords d’Evian. La négociation a été « donnant-donnant » : les français tenaient à leurs bases nucléaires et les algériens ne voulaient pas abandonner le Sahara, et comme dans toute négociation, un compromis a été trouvé, qui convenait à peu près aux deux parties. Les algériens acceptaient que la France poursuive ses essais pendant cinq ans dans l’Algérie indépendante, les français acceptaient le fait que le Sahara soit territoire algérien. Pour les historiens que j’ai rencontrés, la France avait une vision nette de l’avenir du Sahara, elle le considérait comme territoire français, définitivement. En décolonisant le Maroc et la Tunisie en 1956, puis l’Afrique de l’ouest en 1960, la France s’était aménagé une Algérie qui s’étendait des rives de la méditerranée aux confins du Sahara. Les conclusions des experts : En ce qui concerne Reggane, je vous invite à visionner mon film « Vent de sable ». Pour la base d’Aïn Ekker, il y a deux aspects : la pollution visuelle, qui est facilement remédiable, et la pollution radioactive qui est importante et problématique. Cette pollution radioactive est due à la lave qui est sortie de la montagne lors de l’accident du tir Béryl, et qui constitue un danger permanent pour les êtres vivants. L'essentiel de la pollution se situe à proximité du carreau E2, mais on pense, et les mesures le confirment, que des particules de lave ont migré suite aux précipitations et aux ruissellements. Je dirais, qu’autant à Aïn Ekker on peut parfaitement tout décontaminer et réhabiliter, autant à Hamoudia cela me semble impossible étant donné l’étendue du champ de tir. Cependant, sur les deux sites il y a urgence à sécuriser, et pour cela on doit établir rapidement une cartographie radiologique. Il est tout à fait possible de pénétrer sur les deux sites, parce qu’ils ne sont ni surveillés, ni sécurisés. A Ain Ekker, au pied de la montagne Tan Affela, il y a des traces de passage, voire de séjour, de trafiquants de métaux divers. Il y a partout des foyers de brûlage pour dégainer des câbles électriques. Il y a aussi des traces de pénétration dans les galeries et ça c’est extrêmement grave, car en profondeur, les galeries sont saturées de radioactivité. La célébration du 13 février En France, sachez qu’ici personne ne s’apprête à célébrer ce cinquantenaire, les vétérans oui, ils le célébreront tristement comme un funeste souvenir, comme le drame de leur vie. Je crois que ce qui fait le plus mal, aussi bien aux vétérans français qu'aux ouvriers algériens qui ont travaillé sur ces bases, c’est le manque d’information. Les gens ne savent pas s’ils sont malades, si leur maladie est imputable ou non à leur présence sur les sites. La première douleur se situe à ce niveau, au niveau de cette chape de plomb de l'incertitude. Lorsqu'ils ont quitté les bases sahariennes, les français les ont remises aux algériens sans démantèlement, sans dépollution, sans sécurisation. Le matériel hautement radioactif a tout simplement était enfoui dans le sable. Depuis, il n’y a pas eu d’enquête épidémiologique pour déterminer les pathologies. Mais il n’est jamais trop tard pour régler les problèmes, il est encore temps. Je me répète sans doute, mais le plus urgent c’est de sécuriser, de nettoyer, décontaminer quand c’est possible, mais aussi de permettre aux scientifiques, aux journalistes, aux cinéastes de travailler librement pour écrire l’histoire, pour constituer une mémoire, pour que les générations futures sachent ce que nous leur avons légué, sachent dans quel environnement ils vivent. La loi d'indemnisation Le décret d’application n’est pas encore sorti. C'est une petite loi mais c'est mieux que rien. Pour que cette loi soit effectivement efficace, il faudrait d’abord la doter d’un fond propre, puis que les demandes d'indemnisation soient traitées par un organisme paritaire, avec des personnalités indépendantes. « les algériens sont-ils concernés ? ». Oui ils sont concernés, mais cela ne veut pas dire grand chose. Imaginez-vous un habitant de Reggane ou d’Aïn Amguel constituant un dossier et allant plaider sa cause seul, à Paris, contre l’état français? Il ne faut pas rêver. La décontamination : Personnellement je ne crois pas trop qu’on puisse décontaminer le sable saharien. On peut ramasser le plus gros, comme par exemple les fameuses taches de léopard sur les points zéro, encore faut-il beaucoup de bonne volonté politique et de moyens. Mais le sable est indécontaminable, car les particules microscopiques de plutonium sont disséminées dans le sable, on ne peut pas racler le sable sur un mètres de profondeur sur des milliers d’hectares, c’est impossible. Il faut ramasser ce qui peut l’être et le stocker selon les normes internationales. Il faut aussi que la France remette aux algériens les plans des différents points d’enfouissement et la nature ce qu’on a enterré. Il y a un groupe de travail composé de scientifiques, et de personnalités militaires et politiques algériens et français qui oeuvre à l’élaboration d’une cartographie radiologique. Il faut attendre les conclusions de leurs travaux. Mais attention, dépolluer, nettoyer ne veut pas dire effacer les traces de l’histoire, et du passé. Non, au contraire il faut préserver des empreintes visuelles, mais aussi les traces non observables à l’œil nu, (par exemple on peut chercher comment rendre observable à des fins pédagogiques une petite parcelle de sable vitrifiée, un bloc de lave…). Ces aspects-là alimenteront notre mémoire. Larbi BENCHIHA
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