Larbi Benchiha cinéaste documentariste |
|
Travelling Alger, son cinéma et moi
Travelling Alger, son cinéma et moi (2006)
Le hasard a voulu que ce soit dans les rayons d’un supermarché que j’apprenne, par le directeur du festival Travelling Eric Gouzannet, que pour sa dix-septième édition, le festival avait choisit Alger comme escale ! Quelle joie ! C’est à cet instant que j’ai décidé de faire un film L’Algérie, son cinéma et moi pour parler de mon pays. Le cinéma comme figure allégorique pour interroger le passé, comprendre, peut-être, quelque chose à ce présent qui nous échappe. Evoquer mon Algérie et à ma manière, c’est-à-dire à travers le cinéma, car, aussi loin que je me souvienne, l’Algérie m’a toujours été racontée par des images. Pendant la guerre, l’armée française nous projetait des films comiques et des documentaires de propagande.Puis, une image chassant l’autre, lorsqu’en 1962 l’Algérie est devenue indépendante, nous avons découvert un autre cinéma les acteurs étaient algériens et parlaient comme nous. C’était l’avènement du cinéma national, celui-ci avait pour mission de déconstruire 132 ans de représentations coloniales et surtout, contribuer à l’émergence d’un nouvel imaginaire collectif.On dit que le cinéma algérien est un enfant de la guerre. Il est né militant, car dès le début du conflit en 1954, quelques caméras avaient rejoint les fusils dans les djebels.Parmi ces courageux réalisateurs, il y avait le cinéaste breton René Vautier, considéré par ses pairs algériens comme le père de leur cinéma. Et pour cause, il réalise dès 1956, le premier court-métrage algérien Algérie en flammes. Puis, plus tard, il réalise le mythique Avoir 20 ans dans les Aurès. Ne serait-ce que pour ça, Travelling Alger est une légitime évocation d’une histoire mêlée.Mais la période qui a vu éclore véritablement le cinéma algérien, se situe entre 1964, date du premier long métrage algérien Une si jeune paix signé Jacques Charby et le milieu des années 80, lorsque l’Etat s’est désengagé de la production cinématographique. Durant ce laps de temps, environ une centaine de films a été produit. Je les ai tous vus, il y a des navets mais j’ai aussi vu de vrais chefs d’oeuvres !Le premier d’entre eux est évidemment l’époustouflant La bataille d’Alger de l’italien Gillo Pontecorvo, Lion d’or à Venise en 1966, nominé aux Oscars et seulement diffusé à la télévision en France. Dans ce film la Casbah joue un vrai rôle, elle participe de la dramaturgie mise en oeuvre par le cinéaste. On voit Yacef Saadi, le vrai héros de la vraie guerre d’Algérie, en chair et en os à l’écran où il incarne son propre rôle de combattant. On a l’impression que la vraie bataille d’Alger n’était qu’une répétition générale pour ce grand film…Mais il y aussi Chronique des années de braise, Palme d’or en 1975 à Cannes, réalisé par le cinéaste algérien le plus doué de sa génération : Mohamed Lakhdar-Hamina. A sa sortie, le pays comptait vingt millions d’habitants, le film a totalisé quarante millions d’entrées dans les salles du pays…Avec Omar Gatlato, Merzak Allouache a pris ses distances avec le cinéma qui glorifie l’héroïsme du peuple et la révolution en marche. Omar Gatlato est un film qui nous ressemblait. C’était la première fois qu’un film algérien nous faisait rire, rire de nous-même, et ça c’était une révolution.Etait aussi présent à Rennes le cinéma de Mohamed Chouikh. Contre vents et marées, il continue d’interroger, inlassablement, les légendes pour éclairer le tumultueux présent de la société.Comment oublier Tahia ya Didou, l’unique film de Mohamed Zinet ? Ici, Alger est filmée comme on écrit un poème, sans se soucier des convenances de l’écriture cinématographique. Tahia ya Didou est un film iconoclaste, il traverse le temps comme une météore, me disait Boudjemaa Karèche.Mais ce n’est pas tout, il se trouve que le cinéma algérien est riche dans sa diversité et dans son adversité.Avant ce Travelling Alger, beaucoup de gens pensaient que le cinéma algérien était fini. Erreur ! Le cinéma algérien est bel et bien vivant. Une jeune garde est en train de prendre, avec talent, le pouvoir cinématographique.Au moment où j’écris ces lignes, j'apprends que les acteurs du film de mon ami Rachid Bouchareb viennent d’obtenir le Prix d’interprétation masculine à Cannes avec Indigènes. Cette récompense tombe à point nommé, elle met un peu d’ordre dans le débat pollué sur l’histoire de la colonisation et prouve que le cinéma algérien est en train de rebondir.D’autres cinéastes sont à l’oeuvre pour secouer le cocotier local. Malek Bensmail continue à aménager des espaces critiques dans ses constats sociétaux. Yamina Benguigui écrit la mémoire collective de la diaspora maghrébine. Elle était présente à Rennes avec son dernier film Plafond de verre. Samia Chala est venue avec son Lamine la fuit. Ce film parle de l’obsession de la jeunesse algérienne : quitter le pays pour l’autre rive de la Méditerranée. Et que dire de Cousine de Lyes Salem. C’est un film jeune, frais, beau, joyeux et sans complexe…J’ai aussi beaucoup aimé le cinéma de Nadir Moknèche, son Viva l’Aldjerie a surpris par la liberté du ton et surtout parce qu’il a fait tomber un tabou, et quel tabou : l’homosexualité en Algérie ! J’aurai pu parler de Rabah Ameur-Zaïmeche et de bien d’autres jeunes cinéastes prometteurs.En braquant ses projecteurs sur Alger, le festival Travelling a bien mérité son nom. Cette édition fut une belle aubaine pour les cinéphiles bretons, car une grande partie de la filmographie algérienne n’a jamais été projetée en France. Le pays vient à peine de sortir de presque quinze ans de folie meurtrière. Et cette consécration, ce Travelling Alger, fut comme un voyage de convalescence pour une Algérie à bout de souffle. De ce voyage, les Algériens avaient grand besoin !Même si, à l’origine, ce projet ne pouvait que me combler, je fus franchement inquiet pour l’équipe qui allait s’atteler à réaliser ce rêve un peu fou. Je connais bien l’Algérie, j’y suis né et j’y ai grandi. Cette connaissance qui me permettait de craindre que l’opération soit une gageure, car je sais que les chemins qui mènent aux films sont semés d’imprévus et de surprises qui pourraient décourager les plus motivés : absence d’inventaire précis, dépôt des films dans différents endroits, visionnage difficile, etc. J’étais inquiet pour Anne Le Hénaff, responsable artistique du festival, pour Mirabelle Fréville et Guillaume Fournier qui avait la lourde tache de la programmation. Malgré tout, la magie a opéré malgré les incertitudes qui ont persisté jusqu’au dernier moment, comme dans les bons films, le suspense jusqu’au bout. Réaliser un tel festival me paraissait inimaginable, mais l’Algérie est le pays des miracles et le cinéma est un champ d’illusions !Travelling 2007 aura pour thème La ville la nuit.www.travelling-festival.com
|