|
|
|
Bons baisers de Mururoa !
Vingt quatre heures, c’est le temps qu’il nous a fallu pour relier Paris à Papeete (Tahiti). Heureusement, les avions de Air Tahiti Nui sont confortables et le service efficace! J’ai effectué ce voyage en compagnie d’un groupe de veuves de vétérans ayant servi dans les bases atomiques du C.E.P. (Centre des Expérimentations du Pacifique). Le groupe était composé de onze femmes, je ne les connaissais pas toutes, mais la durée du vol m'a permis de faire la connaissance de celles que je n’avais pas encore rencontrées. Ce collectif de veuves constitue le sujet de mon prochain film, il sera consacré aux victimes collatérales du nucléaire militaire. Le but étant de les accompagner sur les traces de leurs époux, fouler les lieux où ils ont passé parfois plusieurs années. Ce voyage c'est aussi un acte de solidarité envers les veuves polynésiennes, qui ont, elles aussi, perdu leurs maris dans les mêmes conditions que leurs homologues françaises.
Il était 22h30 ce samedi 23 juin, quand le train d’atterrissage a buté sur le sol tahitien. A l’aéroport de Papeete, le dispositif de débarquement tranche avec le système ultra sécurisé de Roissy et de Los Angeles où nous avons fait une escale de deux heures. Ici, au contraire, l’atmosphère est décontractée, on sort de l’avion à l’air libre, le débarquement se fait sur le tarmac même, en empruntant un escalier métallique. En sortant de l’appareil, on est frappé par une bouffée d’air agréable. Le contraste avec l’ambiance climatique qui a prévalu durant tout le voyage, est saisissant. Des passagers se font photographier au pied de l’avion sans que cela ne gêne la présence discrète de quelques policiers. Pour rejoindre l’enceinte de l’aéroport, nous avons tout simplement marché deux ou trois cent mètres environ. Ni tunnel, ni bus. J’ai rarement vu récupération de bagages aussi rapide. Nous n’avons pas échappé au traditionnel cliché folklorique d’accueil : deux vahinés se déhanchent aux sons de l'ukulélé. Mais pour nous, le véritable accueil se situe ailleurs. Un comité mené par Bruno Barrillot nous attend dans le hall. Un accueil authentique, simple et chaleureux. Outre Bruno Barrillot, il y a là John Doom que j’ai déjà rencontré à Reggane, il y a quelques années. Il était tard, il faisait nuit et nous étions très fatigués par 24h de voyage. Nos hôtes n’ont pas fait durer la cérémonie d’accueil. Assez rapidement, le groupe des veuves est conduit à son hôtel. Quant à moi, je suis hébergé chez un ami qui possède une maison sur les hauteurs de Papeete. Tous les matins je contemple la ville ceinturée par le lagon et au loin, j’admire ce joyau de la nature qu’est l’ile de Moorea. Le lendemain nous avions quartier libre, nous avons alors mis à profit cette journée « relâche » pour faire la connaissance de Papeete, s'imprégner de la vie locale et évidemment gouter à la cuisine tahitienne accompagnée d'une hinano (la bière locale).
Dans ce voyage, il n'y avait pas que des veuves, il y avait aussi Sandrine, une jeune fille de vétérans. Sandrine c'est la double victime, elle a d'abord perdu son père, puis quelques années après, elle a appris qu'elle ne pourrait jamais être maman. Pour Sandrine, l'armée lui a d'abord volé la vie de son père, puis l'a empêchée de donner la vie. Quant à moi, je ne connaissais Tahiti que par les écrits, les témoignages et des bouts de films que des vétérans m’avaient cédés. La rencontre a eu lieu symboliquement sous le faré potée de l’assemblée polynésienne. Elles ont été reçues officiellement par Mr Jacques Drollet, président de l’assemblée et pionnier des opposants aux essais nucléaires dans les années 1970. Le ministre de l’environnement Mr Jacky Briand était également présent à cette rencontre. Ce qui a le plus marqué cette cérémonie, ce sont les deux témoignages de veuves, celui de la Tahitienne Chantal Aviu et de la finistérienne Anne Tardieu.
Et la colère, il y a de quoi en avoir. Deux jours après notre arrivée, en une, le quotidien le Monde révèle un rapport sous le titre Hao, ile «oubliée» de la pollution nucléaire. En effet, une étude révèle une forte contamination des sols et des produits alimentaires par les métaux lourds et les PCB. Certains évoquent même l’éventualité d’une évacuation de l’ile ! Le drame, ce n’est pas ce que révèle le rapport, le fait que les sites nucléaires regorgent de pollution, n’est un secret pour personne, le véritable drame c’est qu’on a maintenu dans l’ignorance les populations concernées qui, depuis des décennies, vivent sur des lieux rendus malsains les essais nucléaires. Alors, la colère des polynésiens n’est pas seulement compréhensive, elle est légitime, utile et indispensable !
Alors que notre séjour arrivait à son terme, et que nous bouclions nos bagages, à la demande du ministre de l’environnement, l’infatigable Bruno Barrillot et son compère John Doom étaient appelés par le ministre de l'environnement à participer à une mission de prélèvements sur les coraux du lagon des Gambiers. L’objectif de la mission est de vérifier la présence de traces de radioéléments qui pourraient avoir pour origine les retombées des essais aériens de la période 1966-1974. La mission est conduite par l’expert de la CRIIRAD Mr. Christian Courbon, qui a déjà effectué une mission pour des prélèvements terrestres aux Gambier en 2005. Pour ma part, je ne peux que regretter que ce genre de mission n’ait jamais été effectué sur le site des essais aériens de Hamoudia et sur celui où a eu lieu l’accident Béryl, le 1er mai 1962, à In Ekker !
|