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Bons baisers de Mururoa !

Du 23 Juin au 4 Juillet 2012

Participation d’un groupe de veuves de vétérans à la semaine de commémoration du 2 juillet 1966 à Tahiti



Vingt quatre heures, c’est le temps qu’il nous a fallu pour relier Paris à Papeete (Tahiti). Heureusement, les avions de Air Tahiti Nui sont confortables et le service efficace!

J’ai effectué ce voyage en compagnie d’un groupe de veuves de vétérans ayant servi dans les bases atomiques du C.E.P. (Centre des Expérimentations du Pacifique). Le groupe était composé de onze femmes, je ne les connaissais pas toutes, mais la durée du vol m'a permis de faire la connaissance de celles que je n’avais pas encore rencontrées. Ce collectif de veuves constitue le sujet de mon prochain film, il sera consacré aux victimes collatérales du nucléaire militaire. Le but étant de les accompagner sur les traces de leurs époux, fouler les lieux où ils ont passé parfois plusieurs années. Ce voyage c'est aussi un acte de solidarité envers les veuves polynésiennes, qui ont, elles aussi, perdu leurs maris dans les mêmes conditions que leurs homologues françaises.

Il était 22h30 ce samedi 23 juin, quand le train d’atterrissage a buté sur le sol tahitien.

A l’aéroport de Papeete, le dispositif de débarquement tranche avec le système ultra sécurisé de Roissy et de Los Angeles où nous avons fait une escale de deux heures. Ici, au contraire, l’atmosphère est décontractée, on sort de l’avion à l’air libre, le débarquement se fait sur le tarmac même, en empruntant un escalier métallique. En sortant de l’appareil, on est frappé par une bouffée d’air agréable. Le contraste avec l’ambiance climatique qui a prévalu durant tout le voyage, est saisissant. Des passagers se font photographier au pied de l’avion sans que cela ne gêne la présence discrète de quelques policiers. Pour rejoindre l’enceinte de l’aéroport, nous avons tout simplement marché deux ou trois cent mètres environ. Ni tunnel, ni bus. J’ai rarement vu récupération de bagages aussi rapide.

Nous n’avons pas échappé au traditionnel cliché folklorique d’accueil : deux vahinés se déhanchent aux sons de l'ukulélé.

Mais pour nous, le véritable accueil se situe ailleurs. Un comité mené par Bruno Barrillot nous attend dans le hall. Un accueil authentique, simple et chaleureux. Outre Bruno Barrillot, il y a là John Doom que j’ai déjà rencontré à Reggane, il y a quelques années.

Il était tard, il faisait nuit et nous étions très fatigués par 24h de voyage. Nos hôtes n’ont pas fait durer la cérémonie d’accueil. Assez rapidement, le groupe des veuves est conduit à son hôtel. Quant à moi, je suis hébergé chez un ami qui possède une maison sur les hauteurs de Papeete. Tous les matins je contemple la ville ceinturée par le lagon et au loin, j’admire ce joyau de la nature qu’est l’ile de Moorea.

Le lendemain nous avions quartier libre, nous avons alors mis à profit cette journée « relâche » pour faire la connaissance de Papeete, s'imprégner de la vie locale et évidemment gouter à la cuisine tahitienne accompagnée d'une hinano (la bière locale).

Lundi 26 juin. Ce jour a été placé sous le signe de la rencontre et du témoignage. Les veuves polynésiennes organisées au sein de l’association Moruroa e Tatou ont organisé une rencontre avec plusieurs veuves d’anciens personnels militaires et civils venues de France pour visiter les lieux où leurs maris avaient servi dans le CEP. Une sorte de pèlerinage aux sources bien présentes dans la mémoire de leur famille.

Dans ce voyage, il n'y avait pas que des veuves, il y avait aussi Sandrine, une jeune fille de vétérans. Sandrine c'est la double victime, elle a d'abord perdu son père, puis quelques années après, elle a appris qu'elle ne pourrait jamais être maman. Pour Sandrine, l'armée lui a d'abord volé la vie de son père, puis l'a empêchée de donner la vie.

Quant à moi, je ne connaissais Tahiti que par les écrits, les témoignages et des bouts de films que des vétérans m’avaient cédés.

La rencontre a eu lieu symboliquement sous le faré potée de l’assemblée polynésienne. Elles ont été reçues officiellement par Mr Jacques Drollet, président de l’assemblée et pionnier des opposants aux essais nucléaires dans les années 1970. Le ministre de l’environnement Mr Jacky Briand était également présent à cette rencontre. Ce qui a le plus marqué cette cérémonie, ce sont les deux témoignages de veuves, celui de la Tahitienne Chantal Aviu et de la finistérienne Anne Tardieu.

Il faut aussi rendre hommage aux chevilles ouvrières de cette commémoration, qui, grâce à leurs efforts et à leur énergie contagieuse, ont permis la réalisation de ce voyage et de ces rencontres. tout d’abord à cet intransigeant scientifique, à cet homme engagé depuis des décennies auprès des victimes des essais nucléaires à travers le monde, cet homme c’est Bruno Barrillot dont le combat pour la dignité des populations sahariennes et polynésiennes. Depuis que je le connais, Bruno Barrillot quête et enquête pour que justice et la vérité se fassent.

John Taroanui DoomL’autre personnage c’est le très sympathique John Taroanui Doom, John est connu comme le loup blanc, pas seulement à Tahiti mais un peu partout dans le monde pour son engagement, lui aussi, pour la dignité et la justice des plus faibles, j’ai l’impression qu’il mène ce combat pour la dignité et la vérité depuis tout petit ! John est un pasteur de l’église protestante, mais il est aussi Directeur de l’Académie Tahitienne, Membre du Conseil Economique Social et Culturel de Polynésie. John est impressionnant quand il développe un aspect des choses, on a l’impression qu’il a un logiciel de dialectique dans la tête, ses démonstrations sont imparables et justes.

Roland Oldham et Bruno BarrillotPuis, il y a Roland Oldham, le président de l’association Moruroa e Tatou. Roland aussi je le connais depuis quelques années, plusieurs fois nous nous sommes retrouvé sur les sites nucléaires du Sahara, Roland venait pour faire des conférences et rencontrer les populations nomades et moi j’y allais pour tourner mes films. Roland a du mal à contenir sa colère quand il parle des drames sanitaires et environnementaux que subit son peuple et sa terre. Cela fait des décennies qu’on nous mène en bateau, disait-il lors de l’assemblée générale de son association, il va falloir changer de mode d’action, les discours creux et les promesses mensongères les jeunes n’en veulent plus, il faut les écouter, l’action va se radicaliser, la justice est injuste avec nous, néanmoins nos actions resteront dans la légalité institutionnelle. Roland est un artiste qui milite, qui s’engage, et comme tout artiste, il prend des risques pour promouvoir les causes qu’il défend en tant que président de Moruroa e Tatou. Sa musique et sa peinture amplifient l’action militante et la répandent comme un écho. Je me rappelle encore, pendant le discours que Roland a prononcé lors de la commémoration du 46eme anniversaire de la bombe du 2 juillet 66, pendant qu’il parlait, au pied du unu, les 46 pahus marquisiens n’ont pas cessé de jouer au rythme de la voix de Roland. Quel moment magique là aussi !

Et la colère, il y a de quoi en avoir. Deux jours après notre arrivée, en une, le quotidien le Monde révèle un rapport sous le titre Hao, ile «oubliée» de la pollution nucléaire. En effet, une étude révèle une forte contamination des sols et des produits alimentaires par les métaux lourds et les PCB. Certains évoquent même l’éventualité d’une évacuation de l’ile ! Le drame, ce n’est pas ce que révèle le rapport, le fait que les sites nucléaires regorgent de pollution, n’est un secret pour personne, le véritable drame c’est qu’on a maintenu dans l’ignorance les populations concernées qui, depuis des décennies, vivent sur des lieux rendus malsains les essais nucléaires. Alors, la colère des polynésiens n’est pas seulement compréhensive, elle est légitime, utile et indispensable !

Cette année, la commémoration du quarante sixième anniversaire de la première explosion atomique a été  illustrée symboliquement par la croix de Lorraine, mais une croix de Lorraine violente, elle a la forme d’une épée qui s’enfonce dans les entrailles de la terre mère des polynésiens, elle transperce le ventre nourricier. La sculpture baptisée le unu « Achille » du nom du premier essai souterrain effectué à Fangataufa le 5 juin 1975. Elle est l’œuvre de l’artiste tahitien Eriki Marchand. La cérémonie a été ponctuée par des discours et par les 46 pahu marquisiens de la fédération « Te ono nui o te hana anana ». Enfin, sur cette terre blessée, ce 2/7/2012, pour symboliser la vie, on a planté un jeune cocotier…

Alors que notre séjour arrivait à son terme, et que nous bouclions nos bagages, à la demande du ministre de l’environnement, l’infatigable Bruno Barrillot et son compère John Doom étaient appelés par le ministre de l'environnement à participer à une mission de prélèvements sur les coraux du lagon des Gambiers. L’objectif de la mission est de vérifier la présence de traces de radioéléments qui pourraient avoir pour origine les retombées des essais aériens de la période 1966-1974. La mission est conduite par l’expert de la CRIIRAD Mr. Christian Courbon, qui a déjà effectué une mission pour des prélèvements terrestres aux Gambier en 2005.

Pour ma part, je ne peux que regretter que ce genre de mission n’ait jamais été effectué sur le site des essais aériens de Hamoudia et sur celui où a eu lieu l’accident Béryl, le 1er mai 1962, à In Ekker !