Larbi Benchiha cinéaste documentariste |
|
La vie sans toit
|
2002
|
Yannick était chauffeur routier, pendant vingt deux ans, avec son camion, il a sillonné les routes. "J'étais routier pétrolier, ah je gagnais bien, c'était la belle vie..." Et un jour, l’alcool aidant, tout a basculé : suppression du permis de conduire, entraînant la perte du boulot, puis le divorce... voilà la brèche qui a conduit Yannick à la descente aux enfers. "Peut-être j'ai bu un peu trop,..." Parce qu’il a bu un peu trop, comme d’autres, que le malheur s'est égrené dans sa vie. Dix ans d’errance et de désespoir, de squats et d’habitat de fortune… Une vie primaire, aux confins de l’humainement tolérable. Une sorte de « no man’s land » social où Yannick se cachait pour survivre, pour que sa dégradation sociale n’éclabousse ses enfants… "Je l'ai toujours caché, et pour qu'ils ne le sachent pas, je m'habille proprement pour aller les voir... C'est pour leur dignité, vis à vis des autres, parce que moi, j'en ai rien à foutre..." Quand je l’ai rencontré, c'était en hiver 1995, Yannick squattait un recoin dans le centre ville. Loin de ses enfants, il était résigné, fataliste et finalement défaitiste… La déchéance a finit par l’entraîner inexorablement vers le fond. Puis, un jour, miracle de la réinsertion sociale, la roue a tourné, Yannick a réussit à rompre avec la tyrannie de l’exclusion… Seulement voilà, le miracle a peu à peu viré au cauchemar. Yannick a rechuté… J’ai assisté impuissant à sa descente aux enfers. Jamais, un tournage ne m’a autant bouleversé que ce face à face filmique avec Yannick. Parfois, je ne savais plus si je venais le voir en tant que cinéaste, ou, si, au contraire, je m’étais inconsciemment investi dans un accompagnement social. Six ans plus tard, dans l’anonymat et le silence, Yannick est mort de la rue dans la rue. |