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Compte-rendu de tournage
Février 2011 : Retour sur les sites de Reggane et du HoggarA chaque fois que je retourne pour tourner sur les lieux des essais nucléaires, je fais en sorte qu’un vétéran du nucléaire m’accompagne, cette fois, j’ai demandé à André Aubanel de faire partie du voyage. L’expert de la CRII-RAD Roland Desbordes est désormais un habitué des sites atomiques sahariens, lui aussi fait partie de l’équipe de 2011. Jean-Francis Rommès s'est joint également à l'équipe Nous avons d’abord séjourné à Reggane, André Aubanel y a travaillé en 1961, c’était après les essais, son rôle consistait à faire de la récupération sur les champs de tirs. Aujourd‘hui, on sait que tout le matériel témoin qui était exposé aux tirs, a été contaminé.On sait aussi que tout ce matériel irradié a été purement et simplement enterré dans le sable. Ce fut le travail d’André et de beaucoup d’autres. Des témoignages accablants pour les militaires, attestent que la région est saturée de débris et d’engins irradiés. Au centre de Reggane, il y un an, en creusant pour enterrer des canalisations, des ouvriers ont mis au jour une niveleuse intacte, enfouie parce que probablement contaminée. Pire, cet engin a rapidement disparu. Il y a de grandes chances qu’il soit, à l’heure actuelle, en activité sur un des nombreux chantiers d' Algérie. La radioactivité issue des essais n’a pas fini son œuvre dévastatrice… Jean-Francis Rommès et André Aubanel ont séjourné à Reggane pendant la grande époque des essais. Ils ont quitté la région en 1961, et depuis n’ont plus remis les pieds en Algérie, Aujourd’hui, cinquante ans après, ils ont du mal à reconnaître les lieux, la ville de Reggane a bien changé, elle s’est agrandie et modernisée. Sur la base de Hamoudia, les bâtiments et toutes les infrastructures ont été détruits. Les matériels ayant servi aux essais ont été enfouis sous le sable, il ne reste que des immensités désertiques à perte de vue. On ne voit pas grand-chose, on ne sent rien. Seuls les compteurs Geiger de Roland nous préviennent que l’endroit est malsain et qu’il ne faut pas trop s’y attarder.
Ce qui révolte Jean-Francis c’est surtout l’indifférence de l’état et le mutisme de l’institution militaire. Il a quitté l’armée il y a cinquante ans, et depuis il n’a jamais subi la moindre visite médicale ; pas le moindre mot concernant sa participation à cet exercice de simulation d’un conflit nucléaire grandeur réel. « Aujourd’hui j’ai un sentiment de colère parce que, entre avril 61 et aujourd’hui, aucune autorité française ne m’a contacté pour faire une visite médicale, et ça, je trouve que c’est pas correct, parce que les gens qui nous amenaient ici savaient très bien qu’on prenait des risques » André Aubanel a eu de la chance, il n’a pas été présent sur les sites lors des explosions atomiques. Il est arrivé à Hamoudia bien plus tard, mais n’a pas été épargné des effets atomiques pour autant. En changeant de lieu et de méthode d’essais nucléaires, les militaires ont pris le soin de faire disparaître les vestiges des essais. Pour cela, ils ont fait appel aux appelés et à la main d’œuvre locale. André a fait partie de ces travailleurs récupérateurs de matériaux contaminés.
Le lendemain, pendant que le reste de l’équipe faisait la grasse matinée, je me suis levé de bonne heure, j’avais besoin d’une bonne partie de la journée pour effectuer toutes les démarches nécessaires. J’ai alors procédé par ordre d’importance, d’abord réglé la question de l’hélicoptère, j’avais prévu de réaliser des images aériennes en survolant la montagne et les paysages aux alentours. Première surprise, l’accès aux engins militaires est strictement réglementé, en fait, seul le chef opérateur et moi étions autorisés à prendre place à bord de l’hélico. Ensuite, passage par la Wilaya pour informer les autorités de notre présence à Tamanrasset. Les choses se sont un peu compliquées lorsque je les ai informés de ce qu’on allait faire ici. J’ai remarqué que les gens sont souvent méfiants quand je leur dis que je travaille sur la réalisation d’un film sur le nucléaire. Enfin, j’ai réservé ma dernière visite pour l’hôpital, car j’envisageais interviewer une femme médecin qui connaît bien les pathologies radio-induites. J’ai été reçu par le directeur, un accueil sympathique, mais un refus ferme d’interview du médecin, sans l’accord du ministère.
Vers midi, nous avons levé l’ancre, cela faisait un peu plus d’une heure que nous étions dans cette ambiance malsaine. Rester davantage, c’est s’exposer à des risques inutiles. Retour sur Tamanrasset, tout le monde est pressé de rentrer. Décision est prise de faire la route d’un trait, c'est-à-dire de sauter le repas de midi. La formule me convient assez, cela me laissera le temps de bien organiser la journée du lendemain, une journée consacrée aux prises de vues de la montagne en hélico. Le rendez vous était déjà fixé, à neuf heures à l’aéroport de Tamanrasset, dans la zone réservée aux hélicoptères. C’était un Mi 28, un gros appareil, très bruyant mais relativement maniable et stable. Le pilote était très habile, il effectuait sans problème toutes les figures que le chef op souhaitait. Le filmage de la montagne a duré deux heures, après nous nous sommes posés pour nous restaurer et faire le plein de kérosène.
A peine rentrés à Tamanrasset, j’ai appelé notre guide et chauffeur pour lui parler de ce déplacement et lui demander son avis. Pour lui, le trajet devait prendre entre sept et huit heures. Nous avons donc prévu de partir à quatre heures du matin. Mais le déplacement doit être organisé. Il faut partir à trois véhicules, mais préalablement il faut faire des provisions (eau et nourriture). J’aurais souhaité aussi prévenir quelqu’un à Mertoutek, de notre arrivée. Mustapha m’apprend alors qu’à Mertoutek, il n’y a ni téléphone, ni télévision, ni électricité …
Peu à peu, le téléphone targui a fonctionné. Quelques minutes plus tard, l’assemblée s’était agrandie et chacun y est allé de son témoignage. Pendant ce temps, les femmes restaient en retrait, entourées par les enfants. Il était impossible de ne pas se rendre compte des problèmes de malformations présents chez beaucoup de jeunes. Le taux d’handicapés semble ici important. Pendant que nous discutions, comme à son habitude, Roland Desbordes est allé faire la chasse à la radioactivité. Il s’est baladé aux alentours, mais les compteurs Geiger n’ont rien détecté, tant mieux ! Tant qu’à être sur place, autant bien faire les choses ; Roland a effectué quelques prélèvements par ci par là (du sable, des crottes d’animaux, de végétaux) à des fins d’analyse dans les laboratoires de la CRII-RAD. Quelques jours après notre retour en France, Roland m’a appelé pour me dire que le sable prélevé dans le lit de la rivière était contaminé, pas autant que celui prélevé sur les sites, mais qu’il présentait malgré tout des traces de radioactivité. Larbi Benchiha |